Depuis plus de cinq ans je dénonce le système de la couverture santé qui depuis plusieurs dizaines d’années ressemble à un iceberg détaché de sa banquise et qui ne sert que de faire valoir lors des négociations salariales oubliant sans vergogne tous les inactifs qu’ils soient retraités, demandeurs d’emploi ou autres exclus des accords interprofessionnels de la complémentaire santé.
Il m’est apparu nécessaire de vous informer plus avant sur les conséquences que risque d’entraîner au fil des prochaines années ces pratiques qui s’amplifient au fil des réformes successives.
Il est également important pour nous tous de bien comprendre les promesses électorales qui ne vont pas manquer de fleurir durant la prochaine campagne présidentielle. Le sujet est si sensible que déjà deux prétendants étudient au sein de leurs régions des mesures d’aide à la complémentaire santé, en Ile de France un appel à la concurrence est lancé auprès des assureurs et instituts de prévoyance excluant pour des raisons non expliquées les mutuelles du livre 2, pour la mise en place d’un contrat collectif, au sein des Hauts de France on se dirigerait plutôt sur une allocation forfaitaire versée à tous les titulaires d’un contrat de complémentaire santé. Les régions n’ayant aucune compétence en matière de santé, on peut se demander s’il ne suffit pas de simples effets de manche pour capter l’attention de la part d’élus qui pensent une nouvelle inégalité entre les Français leurs démarches étant réservées qu’aux seuls résidents de ces territoires ?
Dans un rapport publié fin juillet, la Cour des comptes pointe le coût des organismes complémentaires (mutuelles, assurances, instituts de prévoyance) pour assurer la couverture santé des Français.
Ce système est particulièrement générateur d’inégalités déclare l’économiste Jean-Paul Domin (professeur de sciences économiques à l’université de Reims Champagne-Ardenne ) qui revient pour Alternatives Economiques sur ce rapport.
Dans leur rapport rédigé à la demande de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et publié le 21 juillet 2021, les magistrats de la Cour des comptes analysent le dispositif d’assurance maladie complémentaire et dénoncent un système « coûteux, inefficient et en partie inéquitable ».
Depuis le début des années 2000 le choix a été de reporter une partie croissante de la dépense de santé vers les organismes complémentaires d’assurance maladie tout en leur imposant des règles de bonne conduite (contrats responsables). Cette politique a été généralisée par la loi du 14 juin 2013 qui étend la couverture complémentaire santé à l’ensemble des salariés.
La réforme du 100 % santé, mise en œuvre au 1er janvier 2019, garantit en sus l’accès à une offre sans reste à charge. Les paniers 100 % santé (optique, aides auditives et soins prothétiques dentaires) ont désormais des tarifs encadrés et les équipements bénéficient d’une prise en charge accrue par la Sécurité sociale à condition de respecter les cahiers des charges correspondants ; dans le cas contraire la prise en charge du régime obligatoire est fortement minorée engendrant selon les conditions des contrats complémentaires soit une forte augmentation des coûts et/ou des restes à charge très élevés.
Cette politique qui favorise le développement de la complémentaire santé est jugée par la Cour des comptes, dans ce rapport percutant et pertinent, coûteuse pour la collectivité qui doit supporter des coûts croissants et inefficace ne ralentissant pas la croissance des inégalités de santé.
Un coût de plus en plus lourd pour la collectivité
Ces constats dressés n’ont pas manqué d’être faits par le passé. Mais qu’une instance aussi reconnue que celle de la rue Cambon les fasse à son tour leur donne un poids supplémentaire alors qu’elle ne manque jamais de pointer le niveau trop élevé des dépenses publiques.
Ici, ce sont les organismes privés qui sont montrés du doigt ainsi que l’architecture du système de protection sociale français, où un même soin est couvert à la fois par une assurance publique (la branche maladie de la Sécurité sociale) et une assurance privée complémentaire (mutuelle, compagnie d’assurance ou institut de prévoyance).
Les pouvoirs publics victimes de leur politique de subvention à la complémentaire santé
Les pouvoirs publics encouragent de surcroît le développement des assurances complémentaires par l’intermédiaire d’une politique de subvention. Après un encouragement à la souscription de contrats solidaires et responsables via un dispositif d’aide de deux milliards d’euros par an. Les contrats collectifs sont subventionnés à hauteur de 3,6 milliards d’euros par an.
Ces aides sont très disparates : 15 euros pour les contrats individuels des fonctionnaires, 226 euros pour les contrats collectifs, 260 euros pour les contrats Madelin (pour les professions indépendantes). Ces aides sont d’autant plus problématiques qu’un certain nombre de contrats individuels ne sont aucunement subventionnés.
Le choix qui été fait est d’inciter les ménages à faibles revenus à acquérir une assurance complémentaire via le dispositif de la complémentaire santé solidaire (CSS), qui a remplacé en 2019 deux dispositifs qui préexistaient. La CSS coûte déjà 10 milliards d’euros, l’augmentation du nombre de bénéficiaires risque d’engendrer un accroissement de ce montant.
Parallèlement, le législateur a mis en place la taxe de solidarité additionnelle (TSA), visant à financer la couverture complémentaire des ménages les plus pauvres. Le contrôle de cette taxe est complexe, soulignent les magistrats de la Cour des comptes portant experts en la matière.
La foire aux inégalités, l’absence de vision objective des commissions paritaires
La superposition d’une assurance maladie obligatoire et d’une assurance maladie complémentaire favorise l’émergence d’un système peu équitable. La mise en place de la CMU-C et de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) n’ont pas permis d’améliorer le taux de couverture (88%) pour les plus pauvres qui représentent 20% de la population.
La mise en œuvre de l’accord national interprofessionnel de 2013, qui impose depuis 2016 à tout employeur la mise en place d’une complémentaire santé pour ses salariés, a eu des effets indéniables sur l’accès des salariés les plus précaires aux complémentaires : des entreprises de petite taille qui n’offraient pas de couverture auparavant ont pu en proposer après. Mais, dans certains secteurs, notamment ceux qui ont recours principalement à des emplois précaires, de nombreux salariés restent encore sans couverture complémentaire.
Un autre facteur d’inégalité n’a pas évolué : la soutenabilité des charges. Le taux d’effort est plus important pour les plus pauvres que pour les plus riches. 10 % des ménages les plus pauvres consacrent près de 10 % de leurs revenus à leurs dépenses de santé (primes d’assurance et reste à charge compris) alors que10 % des ménages les plus riches dépensent seulement 2 % de leurs revenus pour leurs dépenses de santé.
Aujourd’hui 25 % des contrats complémentaires seulement appliquent une différenciation des tarifs selon le niveau de revenus afin de corriger la dégressivité
Le prix des primes d’assurance complémentaire l’explique en partie : il est en moyenne de 950 euros par an pour les ménages les plus pauvres contre 1 095 pour ceux les plus riches, un écart dérisoire au regard des inégalités de revenus entre ces deux catégories. Aujourd’hui 25 % des contrats complémentaires seulement appliquent une différenciation des tarifs selon le niveau de revenus pour la plupart, il s’agit principalement de régimes complémentaires de fonctionnaires, ce qui laisse irrésolue la question des inégalités de revenus entre salariés du secteur privé.
La généralisation de la complémentaire santé ne limite pas non plus les inégalités de reste à charge en fonction de l’âge. Les personnes soumises à un reste à charge élevé sont assez âgées et ce sont elles qui payent des cotisations élevées. En effet, les cotisations augmentent avec l’âge. En principe, les contrats complémentaires ne peuvent reposer sur une tarification au risque. Par ailleurs, la loi interdit aux mutuelles de pratiquer ce genre de tarification.
Pourtant, en 2016, seules 3 % des personnes couvertes par les contrats les plus souscrits des mutuelles paient une prime non calculée en fonction de l’âge alors qu’elles étaient 36 % en 2006. Le dernier rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) montre que les primes annuelles sont en moyenne de 830 euros pour les 25-45 ans et de 1 490 pour les 66-75 ans et de 1 475 pour les plus de 75 ans.
Les magistrats de la Cour des comptes esquissent en conclusion trois types de solutions, Olivier VERAN rajoute une option qui ressemble plus à un vœu pieux, permettez-moi d’y ajouter la mienne qui serait facile de mise en oeuvre.